Spécialiste de l’art allemand de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance (estampes et peintures), Aude Briau a consacré plusieurs publications et expositions au sujet avec, plus récemment, Peintures germaniques des collections françaises (1350-1550) (musées des Beaux-Arts de Besançon et Dijon, et musée Unterlinden de Colmar, 2024) et Martin Schongauer Superstar. La métamorphose de la gravure (1450-1510) (musée Wittert de l’université de Liège, jusqu’au 26 septembre 2025).
Elle mène actuellement ses recherches de doctorat à l’EPHE-PSL, Paris et à l’université de Heidelberg sous la direction d’Emmanuelle Brugerolles et Rebecca Müller. Sa thèse est consacrée à la réception des gravures de Martin Schongauer (vers 1440/1445-1491) dans l’image imprimée européenne entre 1470 et 1520. De 2021 à 2025, elle a bénéficié d’un contrat doctoral à l’INHA.
Le samedi 7 juin 2025, sa prestation lors du concours « Ma thèse en histoire de l’art en 180 secondes » a été récompensée par le 1er prix du jury.
La réception des gravures de Martin Schongauer dans les arts graphiques vers 1500
II était une fois, il y a bien longtemps, l’accès à Instagram se faisait par ânes interposés; Dans mon histoire, la star d’Instagram s’appelle Martin Schongauer.
Alors, il est possible que beaucoup d’entre vous n’aient jamais entendu parler de ce graveur allemand de la fin du Moyen Âge – il faut dire qu’il a perdu pas mal de followers ces 500 dernières années. Mais, à son époque, il était l’influenceur ultime pour les artistes, et ses gravures étaient parmi les plus « likées » et les plus repostées.
Et c’est ça qui m’intéresse dans ma thèse : le succès et la diffusion des gravures de Martin Schongauer. Comment elles furent utilisées et relayées par d’autres graveurs.
Au XVe siècle, la gravure est une nouvelle technologie qui permet de reproduire à plusieurs centaines d’exemplaires une même image. Comme les gravures sont imprimées sur du papier, elles sont légères, peu coûteuses et très facilement transportables. Elles participent alors d’une véritable révolution visuelle, que l’on peut comparer, à la même époque, avec celle que connaissent les textes grâce aux caractères mobiles de Gutenberg.
Bien sûr, Schongauer n’est pas le seul graveur de son temps, mais ce sont ses innovations qui influenceront durablement les graveurs des générations suivantes.
Tout d’abord, Schongauer est un conteur hors pair. Ses compositions sont simples et efficaces. Les artistes s’en servent alors comme d’une base de données au sein de laquelle ils opèrent des copier-coller, en réutilisant soit le motif en entier, soit en prélevant des détails particuliers qu’ils transposent ensuite à d’autres sujets.
A-t-on besoin de représenter un âne, par exemple ? Pas de problème, en voici un prêt à l’emploi, aussi vrai que nature. Cette illusion de la réalité, Schongauer réussit à la donner seulement à partir d’un réseau abstrait de lignes noires. Grâce à elles, il parvient à restituer aussi bien le crin des ânes que l’idée de mouvement avec les plis et replis du vêtement. Et ça, c’est très intéressant pour les autres graveurs, qui se servent des feuilles de Schongauer comme d’une sorte de « tuto » pour parvenir à un rendu similaire.
Enfin, Schongauer est le premier à marquer systématiquement ses œuvres de ses initiales – « M » et « S ». Si la signature va bientôt devenir synonyme d’une certaine revendication artistique, pour Schongauer, il s’agit plutôt d’un logo, qui lui permet de faire connaître et reconnaître son travail à plusieurs milliers de kilomètres de son atelier, et de fidéliser sa clientèle.
Ça a tellement bien marché que tout le monde lui a piqué l’idée. Les motifs, la technique et la signature de Schongauer auront tellement d’impact chez les graveurs, qu’eux-mêmes, en produisant des œuvres en série, démultiplieront le rayonnement des créations de Schongauer.
Et, au début du XVIIe siècle, on retrouve sa trace jusqu’au Mexique et jusqu’en Inde.
Alors, pour finir mon histoire, je ne saurais pas vous dire si les gravures de Schongauer furent heureuses, mais ce qui est certain, c’est qu’elles eurent beaucoup d’enfants dans cet internet d’un autre temps.
Le concours « Ma thèse en histoire de l’art et en archéologie en 180 secondes » est organisé chaque année grâce au soutien de la Fondation pour l’art et la recherche.