CET APPEL EST DESORMAIS CLOS
Avant les événements de la guerre de Troie, les Argonautes partirent à la conquête de la Toison d’Or. À bord de l’Argo, dirigés par Jason, se trouvaient les plus fameux héros : Atalante, Hercule, Pollux ou encore Pelée, futur père d’Achille. Tous avaient l’habitude de s’affronter dans des compétitions de course, de saut en longueur, de lutte, de lancer de disque ou de javelot. Jason, désireux de favoriser son ami Pélée qui dominait ses adversaires à la lutte mais terminait deuxième dans toutes les autres, disciplines, inventa une compétition les réunissant toutes : le pentathlon. D’après la légende, il fallut encore attendre plusieurs siècles pour que le pentathlon soit introduit parmi les épreuves de la XVIIIeédition des jeux d’Olympie en 708 avant notre ère. Ô lecteurs, cette anecdote ne vous rappelle-t-elle rien ? Au Ve siècle avant notre ère, le peintre Zeuxis d’Héraclée, dans un récit bien connu, dut peindre une représentation d’Hélène de Troie pour la façade du temple d’Héra à Crotone. Chacun connait la suite : Zeuxis choisit les cinq plus belles jeunes filles de la ville « pour en extraire et rassembler ce qu’il jugea de plus beau en chacune » (Pline l’Ancien). Comme l’Hélène de Zeuxis réunissant toutes les femmes en une figure idéale, Pélée, le pentathlonien, réunissait tous les sportifs en un athlète, idéal lui-aussi.
Malgré une hiérarchie de noblesse qui considère parfois le sport comme une activité inférieure à l’art, les chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales, au premier rang desquelles les historiennes et historiens de l’art ont, depuis quelques décennies, considéré le sport comme une pratique culturelle « au nom d’une définition anthropologique de la culture (à savoir le style de vie des individus et des groupes) différente d’une définition de la culture comme ensemble des grandes œuvres de l’humanité » (MIGNON 2005). Qu’entend-on précisément par « sport » ? L’historiographie a discuté du bon usage de ce terme. Le sport moderne a été défini de manière stricte [1] et son acte naissance s’établi à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, à partir de la culture corporelle des grands propriétaires terriens et de la transformation des jeux traditionnels des public schools (TERRET 2013). Néanmoins, de l’antiquité à nos jours et quelle que soit l’aire géographique envisagée, les sources textuelles, archéologiques et visuelles ont révélé l’existence « d’activités caractérisées par la performance physique, la maîtrise de techniques corporelles », la création et la répétition de gestes, l’élaboration de règles, la délimitation d’un lieu dédié et, souvent, une forme de compétition (FENECH KROKE 2018). Sans ces prolégomènes il serait sans doute hasardeux de nommer « sports » ces activités et plus raisonnable d’utiliser des termes tels que « jeux d’exercices », « activités physiques » ou « pratiques proto-sportives » (FENECH KROKE 2018). Cependant, ces différentes activités concentrent des problématiques communes qui les différencient, dans leur dimension ludique des jeux d’enfants, de hasard ou de société et dans leur dimension physique d’activités telles que la chasse ou la guerre. Ainsi nous souhaitons, lors de cette édition 2024 du festival de l’histoire de l’art, dans le cadre d’une année qui sera marquée par les performances sportives et le retour des Jeux olympiques en France, prendre le tournant sportif et interroger la présence de ces pratiques dans le champ de l’histoire de l’art.
« No sport ». Telle était la devise de Sir Winston Churchill. Les artistes, quelle que soit l’époque et le lieu où ils ont opéré, n’ont pas été de l’avis du vieux lion tant le sport, ou plutôt les sports, ont été et sont toujours la matière d’une très riche iconographie. Penser les liens entre histoire de l’art et sport amène donc à envisager les représentations de ces diverses activités et disciplines. Mais au-delà d’un genre iconographique, le sport porte en lui une pluralité de dimensions qui pourront être questionnées durant le festival. L’art sportif peut être par exemple propice à une histoire sociale de l’art. Quasi absentes des tombes royales, les scènes représentant des activités sportives étaient en revanche très nombreuses dans les décors picturaux de tombes privées dans l’Égypte de l’Ancien Empire (DECKER 1993). En Grande-Bretagne aux XVIIIe et XIXe siècles, il était souvent associé aux catégories sociales supérieures qui ont, par leurs achats et leurs commandes, joué un rôle dans la visibilité obtenue par certaines disciplines. Les représentations sportives ou liées au sport peuvent également être porteuses d’une dimension politique, tant négative dans l’utilisation de l’image du corps des sportives et sportifs par certains régimes totalitaires, que positive, permettant à des communautés ou minorités, par le sport et par l’image, de gagner en visibilité et de prendre position dans le débat politique au sein d’une société donnée (LAFFAGE-COSNIER, HUITOREL, SARZEAUD 2023).
« Le sport donne à croire et convient parfaitement aux exigences de l’image » a écrit avec sagacité George Vigarello (VIGARELLO 2002). Les sports sont des objets médiatiques par excellence et ils possèdent une dimension intrinsèquement spectaculaire. Faire du sport un objet d’étude pour l’histoire de l’art ne peut ainsi passer outre une étude de la culture visuelle que chaque discipline produit. Tenues, drapeaux, objets et autres artefacts visuels sportifs doivent être traités comme des éléments d’un langage visuel symbolique dont la dimension artistique doit être analysée en lien avec un sous-texte politique, social, historique. Pensons aux bannières, livrées et symboles des quartiers de florentins participant au calcio fiorentino ou des contrade siennoises au moment du Palio, ou à l’étoile rouge, symbole communiste devenu celui d’importants clubs omnisports tels que l’Etoile Rouge de Belgrade. Plus ponctuels, les événements sportifs, au premier rang desquels les Jeux olympiques, requièrent la création d’une identité visuelle pour lesquels les décideurs font appel aux artistes, comme ce fut le cas avec l’architecte et designer Eduardo Terrazas qui s’inspira autant de l’art traditionnel Huichol que de l’Op Art pour penser le style des jeux olympiques de Mexico en 1968.
Interroger les liens entre art et sport du point de vue de l’histoire de l’art permet aussi d’historiciser le sport à travers sa pratique même. Les gestes des sculptures antiques, l’exhumation de terrains de jeu de balles aztèques, les gravures des traités d’escrime ou encore les expérimentations chronophotographiques d’Étienne-Jules Marey ou d’Eadweard Muybridge ont, parmi bien d’autres sources archéologiques et visuelles, rendu possible une histoire du geste et de la pratique sportive (FENECH KROKE 2018), au point parfois de participer à la renaissance de certains sports disparus[2].
Comme le sport, l’art engage une pratique du corps différente de la pratique quotidienne. Étudier les corps sportifs selon le point de vue et les méthodes de l’histoire de l’art invite à s’intéresser aux préoccupations sociales, politiques, d’identité ou de genre qu’ils ont matérialisées et que les images ont fixées. Ces corps ont aussi bien pu être identifiés comme des corps à-part qu’être érigés en corps modèles, bouleversant ainsi « la définition des canons et des codes de l’apparence au sein des représentations » (CERMAN, LAUGÉE, GORGUET BALLESTEROS, MAILLET 2021). Pensons à la popularité des tournois de sumô au Japon dans le dernier quart du XVIIIe siècle qui suscita la création d’un nouveau genre d’estampes, celui des sumotori, où le corps des lutteurs était représenté en plein combat ou en portrait en pieds. Parfois, à l’inverse, les images de corps performants, le plus souvent masculins et, pour les pays occidentaux, nourries d’un héritage classique, ont aussi pu exercer une forme d’agentivité sur les corps réels (LAUGEE 2021). Et si la presse a pu qualifier certaines sportives et sportifs d’artistes, les corps sportifs peuvent aussi être ceux des artistes. Outre la notion de performance commune aux deux domaines et qui devra être questionnée autant par l’implication physique qu’elle requiert que par sa fugacité, certains artistes ont fait du sport un ethos autant – et parfois plus – qu’un sujet. Caillebotte navigateur, Klein judoka (KLEIN 2006 [1954]), Picasso boxeur, le sport permet de façonner le corps, le regard et parfois même la méthode de l’artiste. Comme le sportif, et sans doute depuis plus longtemps, l’artiste est également soumis à la compétition : concours, jugement, médailles, prix, autant de termes communs à ces deux domaines au point qu’entre 1912 et 1948 se sont tenues pendant les Jeux Olympiques des épreuves de peinture, sculpture, littérature, musique et architecture récompensées par des médailles d’or, d’argent et de bronze.
Si le sport et l’art engagent une pratique du corps différente de la pratique quotidienne, il en va de même pour la pratique de l’espace. Stades, gymnases, hippodromes, mais aussi places public, trottoirs, terrains-vagues : l’histoire de l’architecture et plus largement de l’urbanisme ou de l’aménagement urbain questionne les lieux du sport mais également les lieux interstitiels où le sport s’immisce. La pratique sportive peut être régulée, pour les sportifs comme pour les spectateurs, par les lieux eux-mêmes mais, à la manière de la pratique artistique, elle peut aussi investir les espaces, se les approprier, les reconfigurer, voire en révéler les formes [3]. Ces lieux de sport peuvent aussi devenir patrimoine. Le Colisée et le Cirque Maxime ne sont-ils pas des incontournables de tout bon voyage à Rome ? Plus proche, le 14 rue de Trévise à Paris abrite la plus ancienne salle de basketball du monde (1893), conçue par l’architecte Emile Bénard, aujourd’hui classée aux monuments historiques et où le son des ballons ne résonne plus que rarement.
Les relations entre l’art et le sport, entre les arts et les sports, entre les artistes et les sportifs ouvrent donc de multiples champs d’études aux historiennes et historiens de l’art. Mais que dire alors de notre corps ? Le festival sera aussi le lieu pour questionner les rapports que les historiennes et historiens de l’art peuvent entretenir avec la pratique sportive dans leur vie quotidienne mais aussi dans leur activité scientifique. En 2011, Jean-Marc Huitorel titrait son ouvrage L’art est un sport de combat (HUITOREL 2011). Quel sport alors pour l’histoire de l’art ? Le billard (CLAASS 2021) ? La boxe ? Un sport collectif ou individuel ? Un sport fait de passes en arrière ou de grands dégagements vers l’avant ? Voici autant de questions à l’apparence iconoclastes qui animeront les allées du festival cette année.
[1] Allen Guttman, dans son ouvrage Du rituel au record, la nature des sports modernes (éditeur, 1986) défini le sport moderne par le respect de sept critères qui sont le sécularisme, l’égalité, la spécialisation, la rationalisation, la bureaucratisation, la quantification et la quête de records. Bien que cette étude ait permis d’ouvrir le débat entre sport moderne et pratiques physiques plus anciennes, ces critères ont donné lieu à plusieurs vagues de débat critique (LOUDCHER 2008).
[2] Voir notamment les travaux qui ont été et sont encore menés autour du jeu de courte paume en France (FONTAINEBLEAU 2001).
[3] C’est le cas des skateurs qui, à une relation esthétique, privilégient la relation mécanique et formelle à l’environnement urbain voire à l’œuvre d’art devenant support. Voir WETTERWALD 2009.
Modalités des interventions
Les interventions du festival de l’histoire de l’art adoptent des formats variés, avec une priorité donnée à des interventions traduisant la recherche en histoire de l’art sous une forme vivante et destinée à un large public.
- Conférence : 1 participant, entre 20 ou 30 minutes maximum
- Dialogue : 2 participants, entre 40 et 50 minutes maximum
- Table ronde : jusqu’à 3 participants plus 1 modérateur, durée 1h30 maximum
N.B. : Chaque intervention est suivie d’un échange avec le public.
Dépôt et sélection des propositions
Sont encouragées à candidater étudiantes et étudiants en master et doctorat, chercheuses et chercheurs, professionnelles et professionnels.
Les candidatures peuvent être envoyées jusqu’au 8 novembre 2023 inclus (avant minuit) via le formulaire dédié.
Un lien n’est pas attendu entre le thème du FHA et le pays invité (le Mexique), ce dernier ne faisant pas l’objet d’un appel à communication.
Les propositions de communication doivent impérativement être rédigées en français et se présenter sous la forme suivante :
- Titre du projet (80 signes maximum, espaces compris)
- Un résumé (600 signes maximum, espaces compris)
- Une présentation plus longue (3500 signes maximum, espaces compris)
- Un CV
N.B. : Dans le cas des dialogues et des tables rondes, le porteur ou la porteuse du projet doit se désigner clairement dans la proposition d’intervention. Les propositions incomplètes ne seront pas examinées.
L’examen des propositions sera réalisé par l’équipe du festival de l’histoire de l’art accompagné d’un jury issu du comité scientifique du festival de l’histoire de l’art, présidé par Madame Laurence Bertrand Dorléac.
Cet appel est désormais clos
Bibliographie indicative
Bernard-Tambour, Thierry et Carlier, Yves (éd.), Jeu des rois, roi des jeux. Le jeu de paume en France : Musée national du château de Fontainebleau, 2 octobre 2001-7 janvier 2002, Paris, Réunion des musées nationaux, 2001.
Cerman, Jérémie, Laugée, Thierry, Gorguet Ballesteros, Pascal et Maillet, Arnaud (dir.), « Introduction », Apparence(s). Histoire et culture du paraître. Cultures physiques – Cultures visuelles, 10, 2021 En Ligne depuis le 17 décembre 2021, connexion le 24 aout 2023. URL: http://journals.openedition.org/apparences/2509.
Claass, Victor, Jeux de position. Sur quelques billards peints, Paris, Éditions de l’INHA, collection « Dits », 2021.
Decker, Wolfgang, « Le sport dans la décoration murale des tombes privées de l’Égypte pharaonique », Spectacles sportifs et scéniques dans le monde étrusco-italique. Actes de la table ronde de Rome (3-4 mai 1991), Rome : École Française de Rome, 1993, p. 443-462.
Fenech Kroke, Antonella, « Culture visuelle du jeu sportif dans la première modernité », Perspective, 1, 2018, p. 109-128.
Huitorel, Jean-Marc, (dir.), L’Art est un sport de combat, Paris, Les Presses du réel, 2011.
Laffage-Cosnier, Sébastien, Huitorel, Jean-Marc et Sarzeaud, Nicolas (dir.), Images, sport et politique de l’Antiquité à nos jours, Images Re-vues, 21, 2023, à paraître.
Laugée, Thierry, « Physical Culture. Une revue pour la régénération de l’idéal physique masculin », Apparence(s) [En ligne], 10 | 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021, consulté le 24 août 2023. URL : http://journals.openedition.org/apparences/2890
Loudcher, Jean-François, « À propos de la traduction française du livre de Allen Guttmann, From Ritual to Record: the Nature of Modern Sports », Staps, 80, no. 2, 2008, p. 39-51.
Mignon, Patrick, « Les artistes sont-ils des sportifs qui s’ignorent… et inversement ? », Les Cahiers de l’INSEP, 36, 2005, p. 31-46
Terret, Thierry, « Genèse et prime diffusion du sport moderne (XVIIIe-XIXe siècles) » in Thierry Terret éd., Histoire du sport, Presses Universitaires de France, 2013, p. 11-24.
Vigarello, George, Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe, Editions du Seuil Histoire, 2002.
Wetterwald, Elisabeth, « Entretien avec Raphael Zarka », 20/27, 3, 2009, p. 269-289.