Le FHA23 se tiendra les 2, 3 et 4 juin autour du thème du climat et de la Belgique, pays invité de cette douzième édition. Alors pour entrer rapidement dans le vif du sujet, nous avons posé quelques questions à Veerle Thielemans, directrice scientifique du festival. Une conférence inaugurale menée par Bas Smets, une « académie flottante » et une exposition d’art contemporain dans les jardins du château, elle nous dévoile quelques temps forts de la programmation 2023…
Veerle Thielemans, la 12e édition du festival mettra à l’honneur la Belgique. Pourquoi ce choix ?
Veerle Thielemans : Peu de pays ont connu une histoire artistique aussi foisonnante sur un périmètre géographique aussi « petit » que la Belgique. Très tôt, dès le XXe siècle en Flandres, au Brabant ou en Hainaut, des centres urbains voient le jour et comptent parmi les plus dynamiques de leur temps, rivalisant ainsi avec les plus belles villes en France, en Italie ou ailleurs pendant le Moyen Âge. Manuscrits, retables et tapisseries produits dans les ateliers d’Anvers, Bruges, Bruxelles, ou Tournai, forment la base d’une activité commerciale lucrative qui se développe à grande vitesse au cours des siècles suivants. Il suffit de citer Rogier Van der Weyden ou Jan Van Eyck pour retrouver les plus grands maitres du XVe siècle, tandis que l’architecture religieuse et profane comptent aussi parmi les plus remarquables du continent à la même période.
Face à l’exigüité du territoire, faisons valoir son implication active et continue dans un réseau international. Dès le Moyen Âge, artistes, artisans et architectes entreprennent des voyages et exportent leur savoir-faire aux quatre coins de l’Europe et plus tard à travers le monde. Après la Réforme et la séparation des Pays-Bas du Sud et du Nord en 1581, l’effervescence artistique et culturelle dans les régions du Sud est prodigieuse. Pieter Paul Rubens incarne à lui seul la stature internationale de la production artistique en Belgique au XVIIe siècle. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Bruxelles se transforme en une ville cosmopolite accueillant artistes et intellectuels de toutes origines dont Charles Baudelaire n’est qu’un des plus connus. La Belgique continue de se développer en un pôle culturel important au XXe siècle. Aujourd’hui, la productivité et la qualité de la création ‘belge’ s’affirme dans tous les domaines : le cinéma, les arts visuels, la danse, la mode, le design, l’architecture et évidemment la bande dessinée. Les créateurs belges occupent incontestablement tous les terrains. Même si le pays est petit, son périmètre d’action est grand et les artistes y jouent un rôle de première importance. Nous aurons donc l’embarras du choix pour faire découvrir l’histoire de l’art de la Belgique aux festivaliers.
« Le cinéma, les arts visuels, la danse, la mode, le design, l’architecture et évidemment la bande dessinée. Les créateurs belges occupent incontestablement tous les terrains. »
Que montrer alors de cette histoire de l’art ‘belge’ ? De celle qui ne se laisse pas raconter dans des termes d’identité nationale ? Car ses frontières sont aussi mouvantes que les limites de son territoire, changées au gré des guerres et de la formation de nouvelles alliances entre les pouvoirs en Europe.[1] Lorsque les frontières de la nation sont tracées avec la déclaration de l’indépendance en 1831, le nouveau royaume cherche son identité en s’inventant un passé imaginaire. En même temps, il se plonge dans la course de la compétitivité industrielle et colonise des territoires en Afrique centrale. Aujourd’hui encore l’histoire politique et culturelle de la Belgique est traversée par des enjeux identitaires entre communautés flamandes et wallonnes. Et le passé colonial a laissé des cicatrices qui restent difficiles à soigner. À la place d’une histoire de l’art nationale, le festival racontera donc des histoires multiples, en français, en flamand, parfois même en swahili et en allemand. Slalomons entre les clichés sans nous y attarder et pour en rire. Ce sera le parti pris de notre programmation. Essayons-nous à une histoire de l’art sans frontières, une histoire du dialogue et de la complexité géographiques. Inutile de clore le cercle ou de fermer les frontières.
« Slalomons entre les clichés sans nous y attarder et pour en rire. Ce sera le parti pris de notre programmation. »
Le choix du thème, le climat en 2023 comme l’animal en 2022, ancre désormais très fortement le festival dans des débats de société. Est-ce le fruit d’une volonté nouvelle de s’inscrire au cœur de l’actualité ?
Veerle Thielemans : En écho avec la mobilisation générale pour lutter contre le changement climatique, le thème du climat s’est imposé comme une nécessité. Après la grande exposition critique Reset Modernity sous la direction de Bruno Latour au Centre d’art et de média de Karlsruhe ZKM en 2005, les expositions en lien avec l’écologie et l’environnement se sont multipliées. En France on pense aux installations à l’occasion de la COP 21 à Paris (2015), l’exposition Sublime. Les tremblements du monde (2016) sous la direction de Hélène Guénin au Centre Pompidou Metz ou encore Réclamer la terre, qui vient de fermer ses portes au Palais de Tokyo. Les musées réfléchissent aux manières de devenir plus respectueux de l’environnement en s’interrogeant par exemple sur le transport d’œuvres venant de l’autre bout du monde. Les chercheurs sont attentifs à la représentation des phénomènes climatiques dans des œuvres historiques comme par exemple les paysages enneigés de Pieter Brueghel l’ancien ou certains tableaux impressionnistes qui témoignent des effets de la pollution. De même, des revues diverses comme La Revue de l’Art, Dix-Huitième Siècle ou Les cahiers de l’architecture, consacrent des numéros complets aux sujets climatiques. L’histoire de l’art joint ses forces aux autres disciplines des sciences humaines.
Nous avons invité le paysagiste belge Bas Smets comme conférencier inaugural de l’édition 2023. Ceci est un signe fort de cette volonté d’inscrire le festival dans le débat d’actualité autour du climat. En Belgique, il a été responsable de nombreux projets de grande envergure tels que le réaménagement du Linkeroever à Anvers ou la création du Parc du Tour & Taxis à Bruxelles, où il cherche à créer des connections plus fluides entre des environnements habités, des zones intermédiaires et des friches. En France, à Arles, les jardins dessinés à la demande de la Fondation Luma ont fait revenir la nature sur un site aride en plantant ce que Smets appelle une ‘communauté des végétaux’. Ils y forment un nouveau cadre de vie pour les habitants autant que pour les touristes. Sa proposition pour le réaménagement des abords de la cathédrale de Notre-Dame de Paris a été sélectionnée en juin dernier comme lauréat d’un concours international. La création d’un écrin végétal autour du parvis et l’aménagement d’un grand parc des berges sur un site patrimonial aussi symbolique que celui de Notre-Dame sera forcément objet de critiques, si bien qu’il nous semble intéressant de prendre ce projet comme objet de réflexion.
Nous aborderons le thème du climat sur un autre terrain encore qui touche cette fois-ci aux socles conceptuels de la discipline. En s’inspirant de la théorie des climats, formulé notamment par Montesquieu, puis repris par des historiens de l’art et historiens tels que Johann Joachim Winckelmann ou Hippolyte Taine, une explication des arts par les conditions climatiques du milieu dans lesquels ils ont été produits a mené à des classifications inacceptables. Le paradigme ‘Nord-Sud’ que nous continuons d’utiliser malgré les critiques formulées par les études post-coloniales est un problème de cadres de pensées qu’il faut interroger et démonter.
Enfin, le thème du climat lance au festival un grand défi qu’il nous faudra continuer à relever les prochaines années : transformer ces trois jours de rencontres festives sur les sites exceptionnels du château et de la ville de Fontainebleau en un festival ‘vert.’ Le déplacement d’autant de personnes a un impact écologique important qu’il faut essayer de réduire au maximum. Nous avons fait le choix délibéré de ne pas basculer la manifestation en un événement hybride, comme nous avions été obligés de faire en 2021, car nous voulons continuer à privilégier la découverte du site du château et du programme en présentiel. Alors comment accueillir autant d’intervenants et de public d’une manière respectueuse de l’environnement ? La question est centrale.
« Le thème du climat lance au festival un grand défi qu’il nous faudra continuer à relever les prochaines années : transformer ces trois jours de rencontres festives en un festival ‘vert.’ »
À ce propos et pour entrer un petit peu dans les coulisses du festival, peut-on savoir comment s’élabore une telle programmation, riche de plus de 250 événements ?
Veerle Thielemans : D’après mon expérience, le travail de programmatrice d’un festival s’apparente à celui du navigateur. Choisir la meilleure route en tenant compte des paramètres donnés, être ouvert aux changements de cap, tout en gardant en vue la destination finale. Nous n’avons pas le temps de plonger dans chaque matière et d’aller voir en profondeur ce qui s’y passe. Il faut faire des choix à partir des questions qui animent l’histoire de l’art aujourd’hui en jugeant de leur pertinence au sein d’une programmation destinée au grand public. Concrètement, dans une première phase, cette approche se traduit par des lectures et des recherches un peu tous azimuts, qui sont ensuite affinées au fur et à mesure grâce aux conversations avec des spécialistes, historiens, commissaires, directions de centre d’art, artistes, restaurateurs… Leurs conseils sont précieux. Nous notons des noms, des idées. Petit à petit, des axes de travail se dessinent qui sont discutés ensuite avec la direction des deux établissements organisateurs et les membres du conseil scientifique du festival.
Personnellement, je souhaite que le festival acquière un caractère participatif encore plus prononcé. Nous bénéficions déjà de la collaboration d’un certain nombre de partenaires fidèles, mais chaque édition pourrait être enrichie par des propositions de collègues tous corps de métiers confondus. Un appel à candidatures sera lancé pour une participation au volet thématique dont la sélection se fait avec l’aide d’un jury désigné. À partir de cette année, le volet dédié à l’actualité de la recherche et du patrimoine sera également ouvert aux candidatures. Nous travaillons aussi de façon étroite avec les conservateurs et le service des publics au château de Fontainebleau qui sont responsables de la programmation des expositions, visites et ateliers, ainsi qu’avec le programmateur cinéma et le commissaire du salon du livre. À un certain moment, je m’assois avec mon équipe et je regarde le tout. Le geste curatorial est indispensable afin de donner une ligne et une cohérence au programme. Puis nous passons au planning des trois jours. Les aspects logistiques d’un évènement de cette ampleur pèsent lourds. Pour chacun des 250 événements, chaque chose doit trouver sa place. C’est un vrai puzzle.
Cette année nous nous sommes engagés dans un projet particulier en partenariat avec l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers qui fête ses 360 ans d’existence en 2023. En tant que quatrième plus ancienne école d’art au monde, l’Académie a formé des jeunes étudiants d’abord suivant le modèle académique classique, puis de façon de plus en plus expérimentale dans les domaines des beaux-arts, de l’architecture, du design, de la mode (le département consacré est l’un des meilleurs au monde), du cinéma etc. Vincent Van Gogh y a été élève ! À l’occasion du festival, une « académie mobile » sera organisée avec le climat comme thème porteur. Elle prendra la forme d’un voyage en bateau au départ du port d’Anvers avec comme destination le festival de l’histoire de l’art à Fontainebleau. À bord, des jeunes créateurs et professeurs qui feront le trajet en empruntant le réseau de voies d’eau que composent les canaux en Belgique et en France. Le projet est pensé comme une méthode alternative d’apprentissage, son rythme lent libère un temps de réflexion et de partage que ne permet pas le transport rapide. Pendant leur déplacement, ils pourront discuter, revoir certaines idées, documenter leurs expériences et préparer les travaux qu’ils montreront à Fontainebleau. Suivre ces jeunes à travers leurs reportages sera une manière pour nous de ralentir et de se rappeler ce qui a préparé leur venue au festival. À ce stade, le projet est encore en gestation. Il nous faut trouver les fonds pour faire venir le bateau d’Anvers sous le commandement d’un skipper. Peu importe l’issue final de ce projet, nous apprenons beaucoup de choses pour penser autrement l’invitation d’un pays et de ses représentants au festival.
« À un certain moment, je m’assois avec mon équipe et je regarde le tout. Le geste curatorial est indispensable afin de donner une ligne et une cohérence au programme. (…) Les aspects logistiques d’un évènement de cette ampleur pèsent lourds. Pour chacun des 250 événements, chaque chose doit trouver sa place. C’est un vrai puzzle. »
Pouvez-vous déjà nous dévoiler quelques temps forts de cette 12e édition ?
Veerle Thielemans : Avec la conférence inaugurale de Bas Smets, le thème du climat occupera l’avant-scène du festival. Elle sera suivie tout au long des trois jours par des discussions entre historiens et historiens de l’art, philosophes, climatologues, responsables de musées et architectes. Parmi eux, nous espérons pouvoir accueillir Bruno Latour, une voix absolument fondamentale dans la pensée collective à développer un autre monde. Des jeunes chercheurs seront là également. Ils auront de nouvelles propositions à formuler qu’il est grand temps d’écouter.
Bande dessinée et film d’animation, cinéma, danse, mode et design, beaux-arts, performance, jeux vidéo, musées publics et collections privées, autant de sujets qui seront abordés dans le volet consacré à la Belgique. Pour les amateurs d’art ancien, la présentation du retable de L’Adoration de l’Agneau mystique par Jan Van Eyck, permettra d’entrer dans les coulisses de la campagne de restauration d’un des plus grands chefs-d’œuvre de la peinture occidentale, tandis qu’une discussion autour des recherches récentes sur l’œuvre de Rubens permettra de renouveler notre regard sur ce grand peintre de l’ère baroque. La programmation contemporaine occupera une place importante. Des représentants des hauts lieux culturels prendront la parole pour commenter la porosité entre les champs des arts visuels, du théâtre, de la performance et de la danse qui caractérise la scène culturelle en Belgique et son ouverture sur la société. L’extraordinaire vivacité de la scène artistique belge sera incarnée sur place grâce à l’invitation de jeunes créateurs dont certains montreront leurs œuvres in situ. Il est trop tôt pour en dire plus, mais nous travaillons aussi à quelques expositions et performances qui surprendront les habitués du festival.
Puis, pour la première fois, le château ouvrira ses jardins à l’installation de sculptures contemporaines. La fête sera décidemment au rendez-vous !
« Il est trop tôt pour en dire plus, mais nous travaillons aussi à quelques expositions et performances qui surprendront les habitués du festival. (…) La fête sera au rendez-vous ! »
[1] La Gaule Belgique fait partie des quatre provinces de l’empire romain. Après l’invasion des Francs, ses territoires sont incorporés dans les royautés mérovingienne puis carolingienne, puis intégrés dans l’Empire romain germanique. Entre le 14e et le 16e siècle, les Pays-Bas bourguignons forment une entité politique à composante variable, étendue sur un territoire comprenant le Flandres du Sud, le Luxembourg, et les Pays-Bas actuels, ainsi que le Nord de la France et la Franche-Comté, très prospère. La séparation des Pays-Bas du Sud et du Nord par suite de la Réforme n’évite pas que la future nation ne change de main entre les souverains espagnols et autrichiens.