Depuis plusieurs années, une collaboration s’est nouée entre le festival de l’histoire de l’art, le parcours « Histoire du cinéma » du master Histoire de l’art de l’université Paris 1 et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Le CNC met à disposition des étudiantes et étudiants la copie d’un film de ses collections récemment restauré, en rapport avec le thème du festival ou son pays invité, pour qu’ils en élaborent la programmation auprès d’un large public, en collaboration avec l’équipe du festival. Il s’agit toujours d’un film muet présenté en ciné-concert. Une projection en avant-première a lieu à l’INHA, et une seconde au Théâtre municipal de Fontainebleau dans le cadre du festival. L’année dernière, c’est le film de production belge Maudite soit la guerre (1913), réalisé par Alfred Machin, qui avait ainsi été présenté.
Cette année, en relation avec le thème du sport, le film programmé est Le Roman de Carpentier, tourné en 1913 par un réalisateur inconnu, retraçant la vie et la carrière du boxeur français Georges Carpentier. A l’âge de 19 ans celui-ci remporte son premier titre de champion d’Europe toutes catégories et accède au statut de première véritable star sportive internationale de l’histoire. Ce biopic est l’un des signes de l’avènement du sport-spectacle en ce début de XXe siècle qui voit converger l’expansion des médias de masse et celle de la passion populaire pour le sport.
La présence de Carpentier dans son propre rôle constitue l’attrait principal du film, mis en valeur à grand renfort de publicité à sa sortie. Loin d’être le cabotin maladroit que l’on pourrait craindre, le boxeur se révèle au contraire un excellent acteur, à l’aise devant la caméra et sachant jouer aussi bien de ses émotions que de ses biceps. Confronté aux comédiens de théâtre chevronnés Berthe Bovy et Harry Baur, il occupe sa place de protagoniste avec un naturel surprenant.
Le film joue sur le brouillage de la frontière entre réalité et fiction : située dans des décors souvent naturels, parfois sur les lieux mêmes de l’action (toute la première partie est tournée dans les corons de Lens, où Carpentier a grandi), la reconstitution est parfois conjuguée avec des images d’archives, comme celles de son entraînement et du combat qui débouche sur sa consécration européenne.
Mais le romanesque l’emporte souvent sur la vérité biographique. L’ascension sportive et sociale du petit gars du Nord est exagérée : le film fait du jeune Carpentier un mineur, alors qu’il était garçon de courses chez un notaire. Surtout, l’histoire réelle est doublée d’une intrigue fictive et mélodramatique, qui lui fait vivre une histoire d’amour impossible avec la fille du maître de forge, qu’il sauve des flammes lors d’une scène d’incendie spectaculaire… Carpentier se prête au jeu de cette réécriture de sa propre histoire, complice d’un système médiatique qui, comme dans le star system cinématographique qui naît au même moment, s’emploie à embellir la réalité pour présenter aux yeux du public l’acteur – ou le sportif – tel un personnage de roman.
De même, la réalité sociale est maquillée dans le film, et Carpentier met son image au service d’un discours pour le moins conservateur : menacé par une grève dont les meneurs sont présentés comme des personnages malfaisants, le maître de forges ne doit son salut qu’à l’intervention du boxeur, désormais célèbre et évoluant dans le Paris mondain, qui vient raisonner ses anciens camarades.
Œuvre impressionnante, dont le réalisme des décors et des costumes vient contrebalancer cette exagération romanesque, Le Roman de Carpentier sera présenté avec un accompagnement musical composé et interprété par Maxime Dangles, dont les sonorités électroniques s’harmonisent de façon surprenante avec les images de 1913 et les rend accessibles aux yeux du public contemporain.