En 2022, le salon du livre du festival a fait peau neuve : Un nouveau commissaire et un format renouvelé avec des performances et des débats informels mais aussi toujours des rencontres et des présentations d’ouvrages autour du thème annuel et du pays invité. En 2023, on y parlera donc Belgique et climat. Alors pour prendre un peu d’avance, Alexis Argyroglo, commissaire du salon, nous livre ses conseils de lecture sur le climat, au détour d’une histoire de chevaux…
Le Grand National 2014, le 5 avril, était la 167e édition annuelle de la plus grande course hippique du Royaume-Uni, à l’hippodrome d’Aintree près de Liverpool. Avec ma belle-famille anglaise-sud-africaine de l’époque on a chacun et chacune misé sur un cheval deux livres sterling. Le cheval Pineau de Ré (avec pour jockey Leighton Aspell, mon héros) a gagné, j’avais misé sur lui, donc j’ai empoché 28 £ en espèces qui m’ont permis d’acheter une belle pierre granitique dans un magasin de jardinage, pierre destinée à être la première de ma librairie ouverte deux ans plus tard en 2016 à Paris, Petite Égypte – la pierre en question est dissimulée derrière le mur des revues, sous le comptoir électrique.
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a adopté le 1er novembre 2014 à Copenhague le Rapport de synthèse – Changements climatiques 2014, qui constitue le dernier volet de son 5e rapport d’évaluation. Ce rapport de synthèse intègre les résultats des trois volumes du 5e rapport d’évaluation, respectivement consacrés aux évidences scientifiques, aux conséquences et à l’adaptation, et aux solutions d’atténuation. Il met en avant une série de faits scientifiques majeurs, telles que l’influence humaine sur le système climatique, les changements déjà observés et les incidences sur les systèmes physiques, biologiques, humains, les risques futurs et la combinaison de mesures d’adaptation et d’atténuation pour y faire face.
La première autrice en résidence de la librairie est Frédérique Aït-Touati, historienne des sciences et dramaturge, dont j’avais lu Contes de la Lune (Gallimard, 2011), qui raconte le recours par les scientifiques modernes du XVIIe siècle aux techniques et pratiques de fiction et de visualisation propres à la littérature et aux arts pour diffuser et accréditer leurs thèses révolutionnaires. Frédérique Aït-Touati signe, avec Bruno Latour, le récent Trilogie terrestre (Éditions B42, 2022). Trilogie de formes théâtrales où le bouleversement climatique et écologique actuel est mis en scène dans un dispositif de parole inquiète : l’ensemble de cette trilogie poursuit un objectif commun, celui de remettre en question nos idées reçues concernant la planète, cette Terre que nous habitons comme nous marchons dessus, presque sans y penser.
La question du climat est admirablement traitée, aussi, par Anouchka Vasak dans 1797. Pour une histoire météore (Anamosa, 2021). Année entre deux eaux de la période appelée « Révolution française », 1797 est ce moment où l’orage révolutionnaire laisse place à un ciel de traîne aux mille gouttelettes, de l’enfant sauvage de l’Aveyron à Germaine de Staël, de la théorie des nuages de Luke Howard aux premières images mobiles de Carmichael et au déclic poétique de Stendhal… La météo, ce n’est pas seulement le temps qu’il fait, ni la science qui a pour fonction d’en prévoir les variations. La « science des météores », est selon Anouchka Vasak un modèle pour penser, et en particulier, pour penser l’histoire faite de passages insensibles, de rémanences ou de résistances. Ce livre propose d’éprouver cette méthode atmosphérique ; il s’agit de penser non en termes de rupture mais de glissements, comme les masses d’air ou les nuages se déplacent de proche en proche. Plus spatial que temporel, moins linéaire que chaotique, le modèle météorologique est ici appliqué à l’année 1797. Anouchka Vasak l’a choisie précisément pour sa couleur intermédiaire, dans l’après-coup de la Révolution, entre crépuscule de l’ancien monde et aurore du monde nouveau.
Il faut lire aussi Théodore Mann. Savoir et pouvoir. Un théoricien du climat à l’Académie de Bruxelles au XVIIIème siècle de Muriel Collart (Académie royale de Belgique, 2022). Précurseur du « global warming », Mann avança dès les années 1770 que la terre se réchauffait et évalua la part des causes anthropiques et physiques. La question sensible et politique du climat est saisie par l’enquête individuelle ou collective – Criminels climatiques. Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète de Mickaël Correia (La Découverte, 2022) ou Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat du Zetkin collective (La Fabrique, 2020), mais aussi par la monographie d’un terrain avec Eric Klinenberg et son Canicule Chicago été 1995. Autopsie sociale d’une catastrophe (Éditions deux-cent-cinq/École urbaine de Lyon). Jeudi 13 juillet 1995, les habitants de Chicago se réveillent, une journée torride commence, au cours de laquelle la température va atteindre 41 degrés. La vague de chaleur s’étendra bien au-delà des deux jours initialement annoncés par les météorologues. Au cours de la semaine qui suit, plus de sept cents personnes vont périr. La grande vague de chaleur de Chicago est l’une des plus meurtrières de l’histoire américaine. Eric Klinenberg entreprend l’autopsie sociale d’une métropole, examinant les organes sociaux, politiques et institutionnels d’une ville affectée par le changement climatique.
Tout cela nous mène loin du cheval Pineau de Ré, vainqueur du Grand National 2014 ? Non si l’on considère son collègue Jappeloup, vainqueur du saut d’obstacles aux Jeux olympiques de Séoul en 1988, qui a bu du champagne à Fontainebleau, au café L’Impérial des parents de notre voisine Nathalie, avant d’être l’invité d’honneur du journal télévisé d’Yves Mourousi, et surtout leur homologue Mister Ed., « le cheval qui parle ». Cette série familiale de Walter R. Brooks (CBS, 1961-1966) met en scène les mésaventures de l’architecte Wilbur Post et de son cheval, Mister Ed. Ce dernier, doué de parole et sarcastique à souhait, crée bien des problèmes à son propriétaire. Mister Ed., qui subit avec lucidité et pénibilité le réchauffement climatique, réclame souvent à boire : « J’ai soif ! ».
Alexis Argyroglo, commissaire du salon du livre et de la revue d’art du festival.