« Le vrai, le faux » et l’Autriche au programme du FHA25

Il est difficile de laisser la dernière édition du festival derrière nous, tant il a été agréable de la voir se dérouler en présence d’un public nombreux et joyeux. Les équipes se mettent dorénavant au travail pour préparer la prochaine édition, qui se tiendra à Fontainebleau les 6,7 et 8 juin 2025. Si la pandémie de COVID ne s’en était pas mêlée, nous aurions célébré son quinzième anniversaire. Ce n’est que partie remise.

Étudier l’héritage artistique de l’Autriche revient à parcourir l’histoire de l’art européen toute entière. Transnationale, interculturelle et cosmopolite : autant de termes qui décrivent la culture autrichienne à des périodes successives de son histoire. Même après l’effondrement des frontières européennes à la fin de la Première Guerre mondiale, l’itinéraire reliant Vienne, Prague, Budapest, Berlin, Rome et Paris est demeuré incontournable pour beaucoup d’artistes. Aujourd’hui, la capitale autrichienne a retrouvé son prestige en tant que grande ville cosmopolite européenne, et d’autant plus depuis que les barrières vers l’Est érigées par le rideau de fer de l’URSS ont été levées. L’histoire de l’art de l’Autriche est certainement un cas d’école de l’histoire connectée qui met au premier plan les circulations.  Et pour ceux qui sont intéressés par l’historiographie de notre discipline, les écrits de l’Ecole de Vienne abordent des notions théoriques avec lesquelles la majorité des historiens de l’art travaillent encore aujourd’hui.

Il semble naturel de penser au thème du vrai et du faux, choisi comme thème annuel de cette 14e édition, pour toute personne passionnée par l’art. En effet, s’il est une problématique centrale en histoire de l’art, c’est bien celle de l’authenticité des œuvres, au point de se demander pourquoi le festival a tant tardé à la mettre en exergue. Ces questions sur le vrai et le faux apparaissent dans les recherches de provenance, la restauration, la conservation des œuvres, la véracité de la documentation accompagnant les objets d’art, le droit de l’art et de la culture, et dans d’autres domaines encore. Avec l’entrée des nouvelles technologies dans le traitement des images qui est venue sérieusement bouleverser nos certitudes, il est devenu d’autant plus urgent de vérifier les sources.

Travailler à la prochaine édition sera donc l’occasion d’approfondir ces connaissances, mais surtout de faire de nouvelles découvertes. Dans cet article de rentrée, nous vous livrons d’ores et déjà quelques coups de cœur de la programmation à venir.

A ces premières pistes s’ajouteront bien d’autres événements sur l’Autriche et « Le vrai, le faux ». Nous vous invitons à suivre l’actualité du festival pour découvrir la programmation 2025 et si vous avez des idées, faites-nous signe !

Albrecht Dürer, PIX Portrait de l'empereur Maximilien Ier, 1519, 74 cm × 62 cm, Musée d'histoire de l'art à Vienne

Le mémorial funéraire de l’empereur Maximilien Ier à Innsbruck

Quand l’empereur Ferdinand Ier fait appel en 1562 à l’artiste Alexandre Colyn pour superviser la deuxième phase de l’érection du mémorial funéraire de son grand-père l’empereur Maximilien Ier, il choisit un des meilleurs artistes de son temps. Le sculpteur flamand prend la suite des artistes tyroliens, les frères Abel, pour exécuter les bas-reliefs ornant les côtés latéraux du cénotaphe de Maximilien Ier. Une fois ce travail fini, il reçoit la commande pour la sculpture en bronze de Maximilien Ier, agenouillé en prière devant Dieu, et les quatre vertus divines qui accompagnent l’empereur dans sa vie céleste. Ces statues seront coulées à Augsbourg en Allemagne et placées en hauteur sur le cénotaphe. Une grille délicatement décorée en fer forgé vient clôturer l’ensemble en 1584.  Le travail se poursuit sous le règne de l’arrière-petit fils de Maximilien Ier, l’archiduc Ferdinand II, avec l’installation de vingt-huit grandes statues en bronze : les ‘schwarze Männer’ représentent les souverains issus de la lignée de Maximilien qui veillent sur la tombe de leur descendant. [1] On y reconnaît les portraits de l’empereur Frédéric III et la duchesse Marie de Bourgogne, première épouse de Maximilien, mais aussi des précurseurs plus lointains comme le roi des Ostrogoths Théodoric le Grand ou le roi légendaire Arthur d’Angleterre.  

Avec ce monument funéraire, la dynastie des Habsbourg se proclame l’héritière légitime du Saint-Empire romain germanique dont le territoire va s’étendre au fil des interventions militaires et politiques de Maximilien Ier sur une grande partie de l’Europe centrale, la Bourgogne, les Pays-Bas du Sud, et l’Italie. En recrutant les meilleurs artistes et artisans de l’empire, les Habsbourg montrent le rôle majeur qu’ils accordent aux arts. Pour les bas-reliefs du cénotaphe, les frères Abel et Alexandre Colyn s’inspirent des épisodes glorieux du manuscrit L’Arc de triomphe de Maximilien, commandé par l’empereur cinquante ans plus tôt et gravé par Albrecht Dürer, l’artiste le plus célèbre de la Renaissance allemande, en collaboration avec d’autres peintres, graveurs et cartographes.  Maximilien Ier qui s’est nommé le ‘dernier chevalier’ n’a pas hésité à se servir des arts afin de rester dans la mémoire. Pour son Livre des prières, imprimé à Augsbourg en 1513, il engage Dürer, Lucas Cranach l’ancien et Albrecht Altdorfer pour illustrer le texte. Disposer de la fine fleur artistique de son empire constitue un excellent moyen pour assoir son pouvoir et assurer sa gloire éternelle.

Le mémorial est en effet une œuvre magistrale. Après une campagne de restauration intensive achevée en 2003, l’ensemble a retrouvé l’éclat qui en fait une des œuvres les plus importantes dans l’histoire de la sculpture funéraire mondiale. Or, comment avec son escorte d’empereurs, de rois et de reines, symbolisant la prédestination des Habsbourg à devenir la dynastie régnante en Europe, ne pas penser à la catastrophe qui allait advenir cinq siècles plus tard ? Pour le visiteur de la Hofkirche à Innsbruck, la mise en scène du cénotaphe fait froid dans le dos.  En contemplant les grandes victoires de Maximilien Ier ou les ‘Schwarze Männer’ qui incarnent la prétendue légitimité d’un pouvoir hérité, on ne peut s’empêcher de penser aussi à un autre exemple: le Führer muséum, le projet mégalomane et jamais réalisé d’Adolf Hitler, destiné à rassembler à Linz les plus grandes œuvres de la civilisation européenne à la gloire du Troisième Reich. De cette histoire-là, le festival parlera aussi. 

 Veerle Thielemans, directrice scientifique du festival

[1] De son vivant, Maximilien avait lui-même passé commande de d’intégrer de bustes en bronze d’empereurs romains pour compléter cet ensemble, mais ce projet initial n’a pas abouti. Un certain nombre des bustes originaux sont conservés au Château d’Ambras.

Convoi funéraire de Maximilien : statues de bronze de la Hofkirche d'Innsbruck, 1502-1584 © Innsbruck Tourismus
Le tombeau de l'empereur Maximilien à Innsbruck, 1502-1584, © ça valse à Vienne

Schönbrunn, château iconique du patrimoine autrichien

Le service particulier de Napoléon Ier a aussi appelé service des « Quartiers Généraux » a été commandé à la manufacture de Sèvres pour l’usage personnel de l’Empereur au palais des Tuileries. Son nom, donné par le valet de chambre Marchand au moment du départ pour Sainte-Hélène, fait certainement référence au quartier général que Napoléon occupait pendant ses campagnes.

Réalisées de 1807 à 1810, les assiettes du service sont ornées de scènes appelant à l’Empereur des souvenirs agréables. Il avait donné des directives très précises quant au choix des sujets pour lesquels il ne voulait ni bataille ni hommes célèbres mais des allusions très indirectes qui réveillent des souvenirs agréables. Pour l’Empereur, ces souvenirs agréables étaient liés aux campagnes d’Italie, d’Égypte, d’Autriche, de Prusse et de Pologne. C’est une vue cavalière du château de Schönbrunn qui représente l’Autriche. Construit à l’ouest du centre-ville de Vienne, le château de Schönbrunn est redessiné entre 1740 et 1780 sur les ordres de l’impératrice Marie-Thérèse par l’architecte Nikolaus Pracassi. Comme le château de Fontainebleau, la résidence autrichienne est classée au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO et les deux châteaux partagent une toponymie commune : Fontaine belle eau / schöner Brunnen : belle fontaine.

Muriel Barbier, directrice du patrimoine et des collections

Manufacture de Sèvres, Lebel, assiette ornée d’une vue du château de Schönbrunn, 1808, porcelaine dure, château de Fontainebleau, dation en paiement des droits de succession, 1983, F-1983.3.1 ©GrandPalaisRmn (Château de Fontainebleau) / Jean-Pierre Lagiewski

La trilogie Welcome in Vienna (Wohin und Zurück, Axel Corti, Autriche, 1982-1986)

Entre 1982 et 1986, le cinéaste et metteur en scène Axel Corti entend, selon ses propres mots, « réveiller la mémoire du peuple autrichien »[1]. En chroniquant l’exil juif viennois durant la Seconde Guerre mondiale à travers une trilogie intitulée en allemand Wohin und Zurück, il a assurément signé l’un des plus fascinants chefs-d’œuvre du cinéma européen de ces cinquante dernières années.

Wohin und Zurück : un voyage vers plusieurs directions puis retour, qui traverse Vienne, Prague, Budapest, Paris, Marseille et New York – Sante Fe restera un ailleurs rêvé. Un voyage s’inspirant directement de la propre histoire du journaliste Georg Stefan Troller, avec qui Axel Corti s’est associé pour écrire le scénario, mais aussi de celles de proches rencontrés par ce dernier durant son exil puis son retour à Vienne au sein de l’armée américaine. Ni saga, ni récit autobiographique, la trilogie Welcome in Vienna se déploie comme l’entrelacement de mémoires trouées : elle reconstitue la densité des véritables trajectoires intimes de celles et ceux qui ont tout perdu, les destinées singulières « des exilés anonymes qui ne sont pas Thomas Mann ou Stefan Zweig »[2].  

Welcome in Vienna devrait très certainement trouver une bonne place au sein de la programmation de la section cinéma consacré à l’Autriche, pays invité de cette édition à venir. Le travail de mémoire qu’il a courageusement engagé pourrait également entrer en résonance avec la thématique « Le vrai, le faux » : car si dans Welcome in Vienna, la plupart de ce qui est montré et joué a bel et bien été réellement éprouvé par des femmes et des hommes au cours de ce passé si violent, c’est aussi par la grâce de son langage cinématographique que la fiction historique réussit à exprimer le plus précisément possible la vérité toujours contemporaine des sentiments de tout exilé. 

Damien Truchot, programmateur cinéma

[1] Cité par Jeanine Baron, « Les malédictions d’Axel », La Croix, 22 janvier 1987. 

[2] Axel Corti, cité par Colette Godard, « Le cercle des exils », Le Monde, 24 janvier 1987.

Welcome in Vienna, Axel Corti, 1982-1986 © Le Pacte