Le climat nous occupe, le climat nous inquiète, mais il serait orgueilleux de penser que nous sommes les premiers à nous poser ces questions, déjà à l’esprit de nos prédécesseurs.

Le temps qu’il fait et le climat sont les deux faces de la même médaille. Quand il est question de météorologie, il est question des événements tels que le vent, la pluie, la chaleur, dans une expérience quotidienne. Lorsque l’on parle du climat, le temps est pris en compte sur des durées beaucoup plus longues. La langue française utilise le même mot pour parler du temps qu’il fait et du temps qui passe. Le temps long, le temps historique, est donc inhérent à la notion même de climat.

Le mot « climat » ne possède plus aujourd’hui le sens de « portion ou zone de la surface de la terre, terminée par deux cercles parallèles à l’Équateur » que l’on trouve dans l’Encyclopédie de D’Alembert au XVIIIe siècle. Cette manière d’envisager le climat est tombée en désuétude avec l’invention de la science météorologique moderne et le climat est devenu lui-même un concept dynamique, impliquant une interdépendance des écosystèmes à l’intérieur du même monde. La notion de climat s’est même imposée dans des domaines autres comme la politique – Bruno Latour parle des atmosphères de la politique -, des mentalités ou des sensibilités. Et elle s’impose également comme une notion centrale en histoire de l’art.

Les paysages hivernaux de Brueghel porteraient la trace de ce que les climatologues appellent le petit âge glaciaire. Mais l’hiver n’est pas qu’un simple témoignage. Les événements climatiques représentés doivent être analysés de manière plurielle. Les événements climatiques, les tempêtes romantiques, les ciels rouges de Turner tout comme ceux de Munch ne sont pas qu’une simple toile de fond. Les artistes ont fait du climat, de ses aléas et de ses changements plus profonds un sujet à part entière. Mais alors que George Braque disait que l’art est fait pour troubler tandis que la science rassure, nous semblons être entrés dans une ère où la science et l’art troublent de concert. Nous vivons aujourd’hui dans l’« anthropocène » dont l’action artistique contemporaine a cherché à s’emparer pour sensibiliser l’opinion voire parfois proposer des solutions.

Pour ne pas laisser les artistes enregistrer, dénoncer et lutter seuls contre les transformations du climat, l’histoire de l’art doit également prendre sa place dans les humanités environnementales, embrasser ce changement de paradigme et cette nouvelle voie écocritique. L’histoire de l’art a longtemps entretenu des liens étroits avec le climat, pris dans son acception de « portion de la terre » aujourd’hui obsolète, comme moteurs de la création artistique. Vasari, Montesquieu, Kant et Winckelmann se sont servis du climat pour expliquer la pluralité des lieux et des comportements et en ont fait l’élément fondateur d’un style, d’une école artistique. Ces développements qui ont remplacé le génie de l’individu par le génie d’un peuple et ont conduit à analyser et surtout à hiérarchiser les arts et les civilisations ont depuis été largement réfutés. Ils peuvent néanmoins faire l’objet de réflexions historiographiques pour comprendre comment le climat fut l’un des fondements de théories erronées mais historiquement situées, à partir et en opposition desquelles l’histoire de l’art comme discipline s’est construite.

Les disciplines proches de l’histoire de l’art doivent également être convoquées pour embrasser le plus largement possible ce qu’induit la prise en compte de la notion de climat. L’architecture a toujours été l’art de construire des climats de substitution : avoir moins chaud, avoir plus de lumière, être protégé du soleil. L’archéologie, par sa pratique mais également par les nombreux vestiges découverts, est dépendante du climat et directement exposée à ses variations. Les musées, comme lieux de conservation et de protection des œuvres face aux effets du climat et de ses changements, doivent, eux-aussi, être questionnés.

Se poser la question du climat et de l’histoire de l’art, c’est confronter notre discipline à une écocritique, à une écopolitique et à une écopoétique. C’est aborder les productions artistiques comme des sources historiques et culturelles pour une étude du climat sur le temps long. C’est aussi analyser, sous cet angle nouveau mais ô combien important pour nos sociétés contemporaines, l’impact du climat sur les formes produites par les humains.