Des œuvres japonaises redécouvertes dans les collections du château de Fontainebleau

Collections japonaises du château de Fontainebleau » : Une exposition inédite à découvrir dès le 4 juin 2021.

Le 4 juin 2021, le Festival ouvrira ses portes en inaugurant l’exposition « Collections japonaises du château de Fontainebleau. Art et diplomatie (1860-1864) ». Présentée dans les salles du château jusqu’au 19 septembre 2021, cette exposition est le fruit d’un travail de recherche inédit mené par une équipe de chercheurs et de conservateurs français et japonais. Elle présentera au public des cadeaux diplomatiques offerts par l’avant-dernier Shôgun Iemochi à Napoléon III, entre 1860 et 1864. Un temps exposé et admiré, cet ensemble d’œuvres d’art regagne ensuite les réserves du Château et y est progressivement oublié… L’exposition sera une magnifique occasion de les redécouvrir !

A quelques mois de son ouverture au public, Estelle Bauer, commissaire de l’exposition avec Vincent Droguet, répond à nos questions et nous dévoile quelques informations sur les plus belles pièces.

 


 

Kanô Shuntei Fusanobu, La Passe de Sano, 1860, paravent à six feuilles (détail), couleurs sur fond d’or et papier, Château de Fontainebleau © RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot

Collections japonaises du château de Fontainebleau. Art et diplomatie (1860-1864)

Du 4 juin au 19 septembre 2021

Commissariat :

Estelle Bauer, professeure à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et directrice de l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est.

Vincent Droguet, conservateur général du patrimoine, sous-directeur chargé des collections au service des Musées de France, ancien directeur du patrimoine et des collections du château de Fontainebleau.

 

 


 

Estelle Bauer, vous êtes commissaire scientifique de cette exposition inédite qui sera sans aucun doute l’un des temps forts du Festival. Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots ?

« Art et diplomatie – Les œuvres japonaises du Château de Fontainebleau (1860-1864) » va présenter un ensemble d’objets offerts par le Japon à la France entre 1860 et 1864. Nous y verrons un paravent, dix peintures sur rouleaux verticaux (kakemonos), des objets, du mobilier, des objets en laque et dans d’autres matières. Certaines de ces œuvres étaient jusqu’à présent exposées dans le salon des Laques de l’impératrice Eugénie et dans le Musée chinois, mais leur provenance avait été oubliée ; une autre partie était conservée dans les réserves du château.  L’exposition va redonner une identité à ces objets en présentant non seulement les circonstances de leur arrivée en France, mais aussi celles de leur création au Japon. Elle est le résultat du travail d’une équipe scientifique franco-japonaise dont les membres ont apporté, chacun selon ses centres d’intérêt, un éclairage différent. L’une des découvertes majeures est due à M. Suzuki Hiroyuki qui a retrouvé dans les archives diplomatiques japonaises les comptes rendus de discussions ayant entouré la préparation des cadeaux ainsi qu’une liste précise qui a aidé à les identifier. Ces découvertes ont également, par exemple, conduit M. Vincent Droguet à reconsidérer l’itinéraire de certaines pièces provenant de la collection du duc de Morny.

Portraits de Napoléon III et d’Eugénie, Carnet de voyage du médecin de l’ambassade de 1862 © Bibliothèque de la Diète, Tokyo.

 

Dans quelles circonstances ces œuvres sont-elles arrivées en France ?

Dans la seconde moitié des années 1850, le Japon est contraint de s’ouvrir sous la pression des puissances occidentales. En 1858, le gouvernement shogunal signe un Traité d’amitié et de commerce avec les Etats-Unis, suivi d’autres signatures avec plusieurs pays européens dont la France et la Grande-Bretagne. Ces traités marquent le début des relations diplomatiques officielles entre le Japon et les pays occidentaux qui s’accompagnent, très naturellement, d’échanges de présents. C’est dans ce contexte que Napoléon III offre à son homologue des bustes en bronze de lui-même et de Napoléon Ier, du champagne et d’autres cadeaux, dès 1859. L’année suivante, le shogun envoie à la France trois paires de paravents. De nouveaux cadeaux sont offerts en 1862 par le Japon, lors d’une ambassade itinérante en Europe et, enfin, en 1864, en remerciement de l’accueil réservé lors de cette ambassade.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces œuvres ? Peut-on les relier au Japonisme ?

On pourrait être tenté d’interpréter les œuvres au regard du Japonisme, mouvement artistique qui va suivre immédiatement. Il me semble toutefois, et c’est qui ressort des essais du catalogue, que les cadeaux doivent d’abord être compris dans le contexte japonais.

Kanô Shuntei Fusanobu, La Passe de Sano, 1860, paravent à six feuilles (détail), couleurs sur fond d’or et papier, Château de Fontainebleau © RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot

C’est le cas du paravent dont le fond et le dos sont couverts de feuilles d’or, qui s’inscrit dans la grande tradition des cadeaux diplomatiques que le Japon fait à ses voisins depuis plusieurs siècles. Les sujets des œuvres puisent aussi dans des thèmes classiques de la poésie ou du théâtre Nô qui sont immédiatement compréhensibles pour un public japonais cultivé.

J’ai trouvé particulièrement intéressant un rouleau vertical figurant deux Pigeons bleus sur un érable. Le peintre s’est inspiré d’une peinture attribuée à un empereur chinois de la dynastie des Song (XIe- XIIe siècles), qui figurait dans les collections shogunales à l’époque de Muromachi – une sorte de Moyen Âge japonais. Cette peinture qui, aux yeux d’un Européen, donne l’impression d’être une représentation naturaliste d’un oiseau commun, est en fait porteuse d’un imaginaire de la souveraineté, avec la Chine comme source de prestige et dont les relais sont, au Japon, les shoguns des dynasties successives. Il ne faut donc pas se méprendre : il s’agit de cadeaux faits par un chef d’État à son pair. Le shogun fait honneur à Napoléon III en lui présentant des œuvres aux thèmes adaptés du point de vue de l’histoire des relations diplomatiques en Asie orientale. Mais les choses sont certainement plus complexes. M. Suzuki, dans son article, s’appuie sur les archives diplomatiques pour montrer que les choix iconographiques et stylistiques ont fait l’objet de discussions entre les peintres et les diplomates qui, eux, cherchent à s’adapter au goût des Occidentaux et demandent des aménagements. C’est ainsi, détail délicieux, que les six pays destinataires des cadeaux japonais en 1862 se trouvent dotés d’un Mont Fuji, image qui plait aux Occidentaux, au dire des diplomates. On pourra ainsi s’interroger sur le processus de construction d’un lieu commun. Il est aussi intéressant de noter que le gouvernement japonais décide de traiter de façon parfaitement uniforme les six pays européens que l’ambassade doit visiter en 1862, en leur apportant exactement le même nombre de peintures, alors que les cadeaux envoyés en remerciement, en 1864, sont différents. Ce point qui reste à développer ouvre des perspectives d’études à la fois pour les historiens d’art et pour les historiens.

Kanô Shunsen Tomonobu, Pigeons bleus sur un érable, 1862, kakemono (détail), couleurs sur soie, Château de Fontainebleau © RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot

Il s’agit d’une redécouverte extrêmement intéressante. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans ces œuvres ?

Certainement la qualité de l’ensemble des œuvres. Les objets en laque sont d’excellente facture. Ils ont été fabriqués dans les ateliers officiels du shogunat. Les couleurs sont parfois éclatantes car ils n’ont pas ou peu été exposés à la lumière. Deux cabinets qui se trouvent dans le salon des Laques ont quelque chose de somptueux avec leurs papillons multicolores voletant sur un fond de laque aventurine. Je pense que les visiteurs seront aussi impressionnés par les dix kakemonos suspendus côte à côte.

Cette exposition sera accompagnée d’un catalogue publié en français et complété par un cahier des textes traduits en japonais. Quels en seront les apports ?

Cette exposition et le catalogue pourraient relancer la recherche sur les cadeaux diplomatiques japonais aux pays occidentaux. Pour ne donner qu’un exemple, le palais de Buckingham vient de publier le catalogue d’une exposition concernant les œuvres japonaises conservées dans les collections royales britanniques, exposition dont l’ouverture a été reportée à 2022. La provenance de porcelaines à décor « bleu et blanc » qui y figurent pourrait, à mon avis, être révisée grâce à la liste des cadeaux de 1864 que nous allons publier. Inversement, l’exposition britannique nous donne une idée de l’aspect des porcelaines offertes à la France, connues uniquement par cette même liste. Les recherches à l’avenir devront donc s’orienter vers les collections françaises pour découvrir d’autres cadeaux, mais aussi les pays européens, les États-Unis et, bien sûr, le Japon.